Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

4, 6 (16, 18) февраля 1853. Спасское

Spasskoie,

се 4/16 fevrier 1853.

Chere et, bonne Madame V<iardot>.-- Hier, a mon retour d'une petite tournee que j'ai faite dans les environs pour visiter plusieurs voisins - j'ai trouve votre quatrieme lettre de Petersbourg1.-- Dans celle-ci, malheureusement - les mauvaises nouvelles l'emportent sur les bonnes.-- Je n'ai pas d'inquietude pour la petite Louise2, mais je crains bien que votre mari ne soit oblige de partir avant vous.-- Si les medecins le lui conseillent, qu'il le fasse resolument et sans attendre une amelioration, qui ne pourrait etre que passagere.-- S'il part - irez-vous a Moscou3?-- Je m'imagine que vu le succes triomphant de votre reappearance - on va vous faire de belles offres pour la saison suivante - les accepteriez-vous4? Je crois que ce serait desirable sous le point de vue financier - mais avec qui viendriez-vous? - Je ne suis, helas! que trop desinteresse dans cette question, car au train dont vont les choses, je ne vois pas la moindre possibilite de quitter ma retraite avant deux ou trois ans - on vient de me refuser la permission de visiter mes propres biens situes dans les gouvernements limitrophes a celui d'Orel.-- Je crois du reste vous en avoir parle.-- Je vous avoue qu'en general, je me preoccupe fort peu de mon avenir - il ne m'interesse guere - ce n'est qu'un espace de temps, qui me fait l'effet d'une steppe.

Je ne sais si je vous ai dit que l'un de mes voisins possede un assez bon et nombreux orchestre sous la direction d'un excellent maitre de chapelle allemand du nom d'Amtsberg5.-- Ces musiciens jouent vraiment bien - leur repertoire est immense - ils executent toute la musique classique - et puis - ce qu'il y a de remarquable chez eux - c'est l'unanimite de leur jeu, l'identite de coloris et de nuances.-- Il n'y a du reste rien d'etonnant a cela.-- Amtsberg les a presque tous formes lui-meme.-- Parmi tout ce qu'ils m'ont fait entendre il y a doux morceaux dont je suis fou - c'est une fantaisie en ut mineur de Mozart6 ecrite pour piano et arrangee pour orchestre par un de ses eleves - le troisieme mouvement de cette fantaisie est quelque chose d'incxprimablcmenl beau - et l'adagio de la Neuvieme symphonie (an die Freude) de Beethoven7.-- Cet adagio - c'est le ciel qui s'entrouvre et vous entraine irresistiblement dans ses profondeurs azurees.-- Le premier mouvement est aussi sublime - pour le scherzo - j'avoue que je le trouve lourd, brutal et insignifiant a la fois - et la ou il devient a quatre temps - vulgaire.-- Je ne comprends pas non plus le commencement du final - avec ses bribes de reminiscences et ses longs hurlements de contrebasse.-- Mais il n'y a rien de plus irresistible, de plus grandiose que l'eclat qui precede l'entree des choeurs.-- Je vous prie de me dire si je me suis trompe dans l'impression que cette symphonie m'a faite - et je vous conjure do vous procurer la fantaisie de Mozart (voici son titre: Grande fantaisie en ut mineur arrangee pour l'orchestre par Seyfried, sans titre d'oeuvre) - et de me dire ce que vous en pensez.-- Le troisieme mouvement, dont je vous parle - (il n'y en a que trois) - me fait l'effet d'exprimer precisement l'etat actuel de mon ame - je n'ai pu l'entendre sans me sentir tout bouleverse - emu - trouble - en un mot - c'est adorable - et c'est poignant - le genie y coule a pleins bords.

Dites a V<iardot> que ses anecdotes sur Mr L<ouis->N<apoleon> m'ont fait rire comme un fou8.-- Ce qu'il y a de charmant dans ce Mr - c'est qu'il pretend se donner en exemple de vertu a tout l'univers - il le dit en toutes lettres dans son dernier discours 9.-- Les mots menent le monde - depouillez quelqu'un a la face des gens, tout en proclamant a haute voix votre scrupuleux respect pour le bien d'autrui - personne ne doutera do votre honnetete.-- Vous n'oublierez par votre daguerreotype - (ou phototype) - n'est-ce pas?-- Je l'attends avec impatience. Et si vous vouliez bien m'envoyer quelques mesures de "Sa-pho" - je vous serais bien reconnaissant.-- Je sais que tout votre temps doit etre pris soit par votre travail, soit par ceux qui desirent vous voir - cependant, si c'etait possible!- J'acheverai ma lettre demain.-- En attendant, soyez heureuse et bien portante.-- Ne vous fatiguez pas trop.

Vendredi, 6/18 fevrier.

Si V<iardot> a decidement le guignon de partir avant vous - dites-lui de remettre le fusil au comptoir Iazy-koff - ou bien - si vous allez a Moscou, vous l'emporterez avec vous.-- Vous recevrez l'argent avant le careme - c'est-a-dire dans quinze jours. Ce diable de ble ne veut pas se vendre! - N'oubliez pas de me dire dans votre premiere lettre si vous avez l'intention d'aller a Moscou.

Adieu - mes bons amis. Peut-etre nous verrons-nous un jour - mais l'absence ne fait rien a une amitie comme la mienne.-- Je vous serre les mains et je suis

votre J. Tourgueneff.

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