Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

1, 3, 5, 8 (13, 15, 17, 20) января 1851. Москва

Moscou.

Lundi 1/13 janvier 1851.

Bonjour, chere et bonne Madame Viardot, theuerste, liebste Freundinn! Je ne veux pas commencer mon annee sans invoquer ma douce et chere patronne et sans appeler sur elle toutes les benedictions du ciel. Helas! Se peut-il que toute cette annee s'ecoule sans que j'aie le bonheur de vous revoir? C'est une idee bien cruelle et a laquelle il faut cependant que je m'habitue...

Nous avons passe la soiree d'hier chez un de mes amis, et quand minuit a sonne, vous vous imaginez bien a qui j'ai mentalement porte mon toast! Tout mon etre s'est elance vers mes amis, mes chers amis de la-bas... Que le ciel veille sur eux et les garde!.. Mon coeur est toujours la-bas, je le sens. A demain. Il faut que je sorte, j'ai quelques visites a faire. J'ai une foule de choses a vous communiquer. Ce n'est pas sans raison que je suis reste si longtemps a Moscou. J'ai mene a bonne fin une entreprise assez difficile et delicate. Je vous parlerai de tout cela demain. Aujourd'hui soir, on donne une de mes comedies manuscrites chez la comtesse Sollohoub, un theatre de societe1. On m'a engage d'assister a la representation, mais je me garderai bien de le faire; (je craindrais trop d'y jouer un personnage ridicule. Je vous dirai quel aura ete le resultat. A demain. Mais je veux me mettre a vos pieds et embrasser le pan de votre robe des aujourd'hui, chere, chere, bonne, noble amie. Que le ciel vous protege!

Mercredi, 3 janvier.

Il parait que ma comedie a eu un tres grand succes avanl-hier, car on la repete aujourd'hui, et je viens de recevoir une-invitation pressante d'y aller ce soir. Cette fois-ci j'irai; je ne veux pas avoir l'air de me donner des airs. J'ai donne hier un diner d'adieu a mes amis, nous etions en tout vingt personnes. Il faut avouer que vers la fin de la soiree nous etions tous on ne peut plus animes. Il y avait entre autres un acteur comique d'un tres grand talent, M. Sadofski, qui nous a fait mourir de rire, en improvisant des scenes, des dialogues de paysans, etc. Il a beaucoup d'imagination et une verite de Jeu, d'intonation et de geste, que je n'ai presque jamais rencontree aussi parfaite. Il n'y a rien de si bon a voir que l'art devenu nature. Je vous avais promis hier de vous dire pourquoi je suis reste a Moscou beaucoup plus longtemps que je ne m'y attendais. Voici en peu de mots la raison: il y avait deux personnes, deux femmes a eloigner de la maison, ou elles mettaient la discorde a chaque instant. Pour l'une d'elles la chose n'a pas ete difficile (c'etait une veuve d'une quarantaine d'annees2, que ma mere avait eue pres d'elle pendant les derniers mois de sa vie), on l'a largement payee et priee d'aller chercher une autre maison que la notre. L'autre etait cette jeune fille que ma mere avait adoptee3, une vraie Mme Lafarge4, fausse, mechante, rusee et sans coeur. Il me serait impossible de vous dire tout ce que cette petite vipere a fait de mal. Elle avait entortille mon frere, qui, dans sa bonte naive, la prenait pour un ange: elle est allee jusqu'a calomnier odieusement son propre pere, et puis, quand j'ai reussi par le plus grand des hasards, a saisir le fil de toute cette intrigue, elle a tout avoue, elle nous a braves avec une insolence, un aplomb qui m'a l'ait penser a Tartuffe ordonnant, chapeau en tete, a Orgon, de quitter sa maison5. Il etait impossible de la garder plus longtemps, et cependant nous ne pouvions pas la mettre sur le pave... Son propre pere refusait de la prendre chez lui (il est marie, a une grande famille)6. Notre situation etait tres embarrassante. Enfin, heureusement, il s'est trouve une personne, un docteur7, ami du pere de la demoiselle, qui a consenti de s'en charger en la prevenant d'avance qu'elle serait gardee a vue. Mon frere et moi, nous lui avons donne une lettre de change de 60 000 francs payables dans trois ans avec 6 p<our> c<ent> d'interet, toute la gar-derobe de ma mere, etc., etc. Elle nous a donne un recu, et nous en voila quittes! Ouf! ca a ete une lourde charge. Je ne sais ce qui serait resulte de son sejour chez mon frere, mais je sais que nous ne respirons que depuis qu'elle n'est plus la. Quelle mauvaise et perverse nature, a 17 ans! Cela promet. Il est vrai qu'elle a recu une education detestable... Enfin, n'en parlons plus, elle est contente et nous aussi. Cependant, je vous avoue que je ne suis pas fait pour de pareilles operations! J'y mets assez de sang-froid et de resolution, mais cela me detraque les nerfs horriblement. J'ai trop pris l'habitude de vivre avec de bonnes et honnetes gens. La mechancete, la perfidie surtout ne me fait pas peur, mais elle me souleve le coeur. Il m'a ete impossible de travailler pendant ces derniers quinze jours... A demain. Je pars vendredi ou samedi au plus tard. Voyons, donnez-moi vos deux cheres, bonnes et douces mains, que je les presse longtemps sur mes yeux et sur mes levres, et que votre bienfaisante et noble image chasse loin de moi tous les vilains et mauvais souvenirs...

Vendredi 5.

Eh bien, en effet, j'ai eu un grand succes avant-hier. Les acteurs ont ete detestables, surtout la jeune premiere (une princesse Tcherkassky), ce qui n'a empeche ni le public d'applaudir a outrance, ni moi d'aller les remercier avec effusion derriere les coulisses. J'ai ete, malgre tout, assez content d'avoir assiste a cette representation. Je crois que ma piece aura du succes sur le theatre, puisqu'elle a plu, malgre le massacre des dilettanti. (On la donne a Petersbourg le 20, ici le 18 8.) J'ai ete tres fete, complimente, etc., etc. C'est tout de meme drole de se voir jouer. Je pars demain, mais je vous ecrirai encore avant do partir. Il me tarde d'avoir une lettre de vous. On ne me les envoie plus a Moscou, elles m'attendent a Petersbourg... A demain. Tausend Russe den lieben Fiissen!

Lundi 8.

L'homme propose et Dieu dispose, chere Madame Viardot. Je devais partir samedi, et me voila encore a Moscou. J'ai attrape une toux, et, aussi longtemps qu'elle durera, il me sera impossible de quitter ma chambre. J'espere qu' elle passera dans peu de jours. Ce contretemps m'est assez desagreable, mais il faut s'y resigner.

Hier, Diane a mis bas sept petits, blancs et jaunes comme elle, 6 chiens et une chienne. Sa tendresse de mere va jusqu'a la ferocite, et elle fait des yeux terribles quand Je touche un de ses petits. Les autres n'osent pas seulement s'approcher d'elle. Je vous envoie cette lettre aujourd'hui, mais je vous ecrirai encore une fois avant de partir. J'espere que je pourrai le faire jeudi. Il y a plus de deux mois que la petite Pauline est a Paris. Comment va-t-elle, et fait-elle des progres? Je suis certain de trouver des details qui la concernent dans vos lettres qui m'attendent a Petersbourg, car je suis sur qu'il y en a la-bas au moins deux. Je vous aime et vous embrasse tous. Tiens, une idee. Si j'ecrivais a Gounod au lieu de vous ecrire avant mon depart?

C'est ce que le ferai, Ainsi, adieu jusqu'a Petersbourg.

Votre

J. Tourgueneff.

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