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Полине Виардо - Письма 1862-1864 - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич6, 7(18, 19) января 1864. Петербург No 4 Bade, hélas non! St-Pétersbourg! Lundi soir, 18/6 janvier 1863 {Так в подлиннике.}. Hôtel de France, n° 50. Chère et bonne madame Viardot, ma main, en mettant ce nom chéri de Bade au haut de la page, a trahi mes constantes pensées... Je ne suis que trop à St-Pétersbourg! Et pourtant, l'instant présent est le plus doux de la journée: c'est celui où je cause avec vous. Je vais donc vous raconter ce que j'ai fait. J'ai eu des visites de littérateurs dans la matinée, ce qui m'a empêché de sortir de bonne heure; puis, toutes les rues avoisinantes étaient pleines de troupes qui se rendaient à la parade de l'Epiphanie1.-- Il m'a été impossible de pousser jusque chez la comtesse Lambert, que je verrai demain pour sûr; j'ai fait deux ou trois visites - puis j'ai dîné chez mon bon Annenkoff avec quelques vieux amis. De là, je suis allé au théâtre entendre l'opéra de Mr Séroff, "Judith"2. Eh bien, je dois dire que c'est une œuvre remarquable, malgré des longueurs et des gaucheries impossibles, une exécution pitoyable, des décors idem. Cela procède en droite ligne de Wagner 3 - mais il y a je ne sais quel souffle de passion et de grandeur, où se révèle une physionomie musicale fort intéressante et même originale. La grande scène qui précède le meurtre d'Holopherne m'a vraiment frappé. Mais imaginez-vous (je vous vois rire d'ici) qu'au cinquième acte, Judith arrive, la tête de son monsieur à la main, la montre au peuple, puis chante un air avec accompagnement d'arpèges sur les harpes, un air bleu de ciel - et qu'il y a même un jeune homme en turban et camard qui l'épouse dans cet instant! Si cette Judith est gravée, je vous l'apporterai - je suis très curieux de savoir votre opinion.-- Mr Séroff est né des entrailles de Wagner, il est vrai, mais ce n'est pas un trop mauvais fils. On me mène demain soir chez lui. Le matin je vais au Sénat et je laisse les deux pages suivantes pour y écrire ce qui m'y sera arrivé. J'ai vu au théâtre le prince Odoïeffski qui m'a dit avec la gravité qui le distingue: "Wagner a la mélodie chromatique, et Séroff l'a diatonique" 4. Et je suis allé prendre le thé chez Milutine. Mardi, 19/7 janv 1864. Avant toute autre chose, merci pour la petite lettre que vous m'avez écrite et qui m'est arrivée ce matin.-- Elle m'a fait le plus grand plaisir; j'ai des nouvelles de vous et de tout ce Bade bien-aimé. Merci, merci.-- J'ai fait ma visite au Sénat aujourd'hui entre midi et une heure.-- On m'a introduit avec une certaine pompe dans une grande chambre, où j'ai vu six vieux messieurs en uniforme, avec des crachats5. (Venevitinoff était du nombre et m'a souri.) On m'a tenu debout pendant une heure. On m'a lu les réponses que j'avais envoyées6. On m'a demandé si je n'avais rien à ajouter - puis on m'a renvoyé en me disant de venir lundi pour être confronté avec un autre monsieur7.-- Tout le monde a été très poli et très silencieux, ce qui est un excellent signe - et, d'après tout ce qu'on dit, l'affaire va se terminer encore plus vite que je ne l'espérais. Tant mieux! Du Sénat, je suis allé voir ma vieille amie, Mme la comtesse Lambert, que j'ai trouvée souffrante, comme de coutume, mais peu changée. Sa vie est fort triste... elle a eu du plaisir à me voir et s'est mise à pleurer. Pauvre femme! - J'ai redîné chez Annenkoff, et j'ai passé la soirée chez Séroff; je reviens de là.-- Il nous a joué des fragments de son nouvel opéra "Rognèda" - le sujet est tiré de nos anciennes annales8.-- Eh bien, ou je me trompe lourdement, ou ce petit homme bizarre et nerveux a un fort grand talent.-- Deux chœurs surtout, et un air d'adolescent d'une pureté vraiment mozartesque, m'ont transporté... Ma foi! j'ai dit le mot - je le laisse.-- C'est pour le coup que j'aurais voulu, moi aussi, vous avoir à mes côtés pour pouvoir contrôler mes impressions et lire dans vos traits la confirmation, ou peut-être la négation de mes sentiments. Cette "Rognèda" me paraît devoir devenir bien supérieure à "Judith" - il y a beaucoup plus de franchise et d'originalité - et l'influence de Wagner se fait bien moins sentir. Il se démenait comme un diable devant son piano et chantait d'une voix impossible.-- Ce Séroff est un très grand coloriste et manie l'orchestre d'une faèon magistrale.-- Enfin, je suis revenu sous le charme - et j'y suis encore. Il faut que vous m'écriviez sans perdre du temps les dates exactes de votre séjour à Leipzic, Erfurt, etc., pour que je sache où vous écrire. Il ne fait pas froid du tout ici; j'espère qu'il ne gèle plus si fort à Bade. Les petites ont-elles repris leur traîneau? Travaillez-vous beaucoup? - Dites de ma part mille choses à tout le monde. Quant à vous, je vous baise bien tendrement les mains. Der Ihrige Iv. Tourguéneff. P. S. Die Klappe est-elle posée? Et les bourrelets? Et la double fenêtre du salon? - Et le feutre du petit salon? Bravo pour les portières! Après-demain le n° 5. |
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