Валентине Делессер - Письма (Апрель 1864-декабрь 1865) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

16 (28) июля 1864. Баден-Баден

Bade.

Schillerstrasse, 277.

Ce 28 juillet 64.

Chère Madame Delessert - votre bon petit billet m'a fait plaisir et peine; plaisir, je n'ai pas besoin de dire pourquoi - et peine, parce qu'il m'a fait sentir une fois de plus que je suis un vilain paresseux, qu'on pourrait prendre pour un oublieux et un ingrat. Pourtant je ne le suis pas - et ce n'est pas pour m'excuser, c'est pour rendre hommage à la vérité, que je puis vous dire que j'ai bien souvent et bien affectueusement pensé à vous. Enfin, vous êtes bonne et vous me pardonnerez.

Je mène ici une vie trop uniforme et trop tranquilles - voilà encore une des raisons de mon silence. Les jours s'echappent comme une eau qui fuirait par en-dessous: le biveau baisse sans changer d'aspect un seul instant. Cette uniformité a été interrompue par des visites d'amis, puis par quelque chose de moins agréable - par une névralgîi qui m'a pris aux dents - et qui ne m'a pas fâché pendant trois semaines. Maintenant tout va bien et même le travail a repris, en attendant que la chasse vienne le chasser à son tour. J'ai malheureusement un trop grand travail sur le chantier1: autre pre'texte de faire le paresseux.

Que je voudrais venir "philosopher" un peu avec vous, comme vous dites, sur votre terrasse de Passy! Mes réflexions ont souvent pris le même chemin que les vôtres - et ce sphynx qui se présentera éternellement à tous, m'a regardé avec ses grands yeux immobiles et vides et d'autant plus terribles qu'ils ne cherchent pas à faire peur. Il est cruel de ne pas savoir le mot de l'énigme; il est plus cruel peut-être de se dire qu'il n'y en a pas, parce qu'il n'y a plus d'énigme. Des mouches qui se heurtent sans relâche eontre une vitre - c'est, je crois, notre plus parfait symbole2.

Mais je m'aperèois que je deviens noir - et c'est au moins inutile. J'ai lu, comme vous, le livre de V. Hugo3; mais la forme m'a rebuté - et puis il me fait l'effet de ces chasseurs qui tirent au hasard une quantité de gros plombs dans une volée de perdrix. Il manque le plus souvent - et les idées - les perdrix - qu'il lui arrive d'abattre, tombent tout éclopées.

Il faut que je vous dise encore toute ma reconnaissance pour les bontés dont vous comblez Paulinette. Elle ne m'écrit jamais une seule lettre sans me parler de vous; je vois avec bonheur qu'elle vous est tout à fait dévouée. Je ne puis pas encore dire avec certitude quand je viendrai à Paris - avant l'automne dans tous les cas.

Mille bonnes choses à tous les vôtres - et à vous l'assurance de mon attachement le plus sincère et le plus durable.

J. Tourguéneff.

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