Полине Виардо - Письма (1866-июнь 1867) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

25, 26 марта (6, 7 апреля) 1867. Москва

Moscou.

Au comptoir des Apanages,

boulevard Pretchistenski.

Samedi soir, 6 avril/25 mars 1867.

Si j'étais le comte Michel Wielhorski, chère Madame Viardot, je serais fermement convaincu que l'année 1867 est une année "climatérique"1 pour moi - en d'autres termes - une vilaine année. Tout va à la diable et je reèois toujours einen Streich durch die Rechnung. Vous savez déjà que je devais lire aujourd'hui en séance publique un fragment de mon roman2: eh bien! - hier soir, vers 10 heures, j'ai été pris d'une attaque de goutte à l'orteil tellement violente, que rien de tout ce que j'ai eu jusqu'à présent ne peut s'y comparer: j'ai souffert toute la nuit comme un damné - et ce n'est que depuis une heure ou deux que l'accès se calme. Naturellement, la lecture est tombée à l'eau. A 1 1/2 h, au moment où le public "accourait en foule" (il paraît en effet qu'il y a eu foule), j'étais couché sur le dos, et mon pied nu levé vers le ciel.-- Dites à Didie de faire un dessin là-dessus3. L'accès se calme à l'heure qu'il est - mais ce qui me tourmente - c'est qu'il ait pu avoir lieu après plus de trois mois de maladie: quand cela finira-t-il, et sur quoi puis-je compter? Voila mon départ de Moscou retardéj car il faut que je tienne ma promesse et que je fasse cette malencontreuse lecture4,-- et mon arrivée à Bade, retardée aussi - ce n'est plus le 15 que je pourrai revoir ces endroits chéris! Et si je pouvais me reprocher la moindre imprudence! Mais rien - une vie exemplaire, une vie d'ascète, de St Jean-Baptiste6... et crac! un accès... Vous comprendrez aisément,-- et sans que j'aie besion de vous l'expliquer, combien tout ceci m'est pénible... Oh! vilaine, vilaine année climatérique!

Dimanche.

Cela va mieux, mais je ne puis pas encore marcher, c-à-d poser le pied à terre, je suis obligé de me traîner le genou sur une chaise - pourtant je ne désespère pas de pouvoir faire ma diablesse de lecture mercredi, de faèon que je pourrai m'en aller jeudi"... Mais je ne veux plus rien prévoir, je ne veux plus employer le future - tout nie crève toujours dans la main. Je viens d'avoir encore une longue conversation avec Katkoff, qui, après de compliments à perte de vue sur mon roman, a fini par me dire qu'il craint qu'on ne reconaisse dans Irène une certaine personne7... et qu'en conséquence il me conseille de retoucher le personnage. J'ai refusé net par deux raisons: la 1-er c'est que son idée n'a pas le sens commun et que je ne veux pas, pour lui complaire, gâter toute ma besogne; la 2-de c'est que toutes les épreuves sont corrigées et revues et que ce serait tout un travail à refaire, qui prendrait encore dix jours de temps.-- Assez de, Moscou comme cela! Je vous jure que je me sens ici comme en prison.

Dimanche soir.

Je viens de recevoir votre lettre ainsi que celle de Viar-dot... Pauvres petits enfants,-- avec leur poisson d'avril!.. Je n'ai pas pu y contribuer, et Massenbach8 est dans un piètre état... L'année 1867 aura, vous verrez, la même influence pernicieuse sur mon second architecte, et un bon matin - patatras! - on entendra un grand bruit dans la vallée de Thiergarten... C'est la belle maison de Mr Turkeneff ou Dourganif qui se sera écroulée9... Et je ne verserai pas de larmes.

Rien de nouveau depuis ce matin.-- Le temps est exécrable,-- toujours cette sale neige devant les yeux... Oh! comment faire pour s'en aller! Je ne dis plus rien,-- je ne fais plus de projets. Was geschehen soil, wird geschehen, comme disait notre profond professeur de philosophie, Werder, à Berlin.

En attendant,-- le pauvre goutteux embrasse tout le monde et se recommande à vos prières. Je répondrai à V avant de m'en aller,-- et je vous embrasse les mains avec la plus affectueuse amitié.

Der Ihrige

J. T.

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